“C’est bien le zéro-déchet, mais vous consommez beaucoup trop d’eau et d’énergie en faisant des lessives”

Ceci est une phrase qu’on a souvent entendue depuis le début de notre démarche. Elle nous agace car elle nous est souvent dite par conviction que le zéro-déchet est fastidieux, rétrograde et inutile. On répond avec la conviction contraire que réutiliser est bon pour nous comme pour la planète. Sur une remarque aussi objective que celle-ci, il doit y avoir une réponse objective. On a donc pris du temps à répondre à cette question:

Produit lavable vs jetable

Quitte à répondre, autant répondre sérieusement sur des données fiables et vérifiées. On a choisi de comparer l’utilisation de deux produits du quotidien: mouchoirs et essuie-tout car nous pouvons nous appuyer sur des Analyses de Cycle de Vie (ACV*) officielles (citées dans les sources).

Hypothèses et méthode

Imaginons : J’habite en France (pour le mix énergétique). Pendant 5 ans, je remplace 3650 mouchoirs en papier (2 par jour), 5475 essuie-tout papier (3 par jour) par 15 mouchoirs en tissu (10g de coton) et 10 tissus de cuisine absorbants (15g de coton). Je possède un lave-linge de classe A+ et un sèche-linge de classe C (les plus courants). Comme je joins ces petits morceaux de tissus à mes lessives, j’inclus les dépenses en énergie et en eau en fonction de leur poids, en considérant un cycle pour 4kg de linge (moyenne selon l’Ademe). J’utilise mon sèche-linge pour 3 cycles sur 4 (supérieur à la moyenne).

Sur ces hypothèses, nous avons extrait les données des ACV de Madsen pour Kimberly Clark (“Life Cycle Assessment of Tissue Products”) pour le scénario jetable, et celles d’Intelligence Service (“Analyse de Cycle de Vie comparée d’une chemise en lin et d’une chemise en coton”) pour le scénario lavable. Chez ManaMani, nous cherchons d’autres matières que le coton non biologique qui est gourmand en eau. Par manque de données sur le chanvre ou l’eucalyptus, la comparaison se base donc ici sur du coton chinois.

Résultats

La consommation en eau (en litres) est la suivante:

Comparaison consommation en eau jetable vs lavable pour du coton (litres)
Comparaison consommation en eau jetable vs lavable pour du coton (litres)

Première surprise: la consommation en eau est plus importante pour le scénario jetable. Il est étonnant de constater à quel point le processus de fabrication du papier est gourmand en eau (près de 30 baignoires pour 5 ans d’utilisation).

La deuxième surprise vient du côté lavable. La quantité en eau utilisée se répartit de manière égale entre fabrication des tissus en coton et leur lavage. Rien de surprenant pour les lessives (1500 litres soit 10 baignoires en 5 ans). La quantité d’eau nécessaire à la fabrication, elle, est plus étonnante. En effet, la culture du coton est très gourmande en eau. Ceci est dû à l’irrigation nécessaire pour faire pousser un coton dans un climat qui ne lui est pas propice.

On a donc une consommation d’eau favorable pour le scénario lavable mais pas très éloignée de la consommation d’eau du scénario jetable. Pour ce qui est de l’emprunte carbone, nous avons les résultats suivants (en Kg-eq CO2):

Comparaison emprunte carbone jetable vs lavable (eq-CO2)Comparaison emprunte carbone jetable vs lavable (eq-CO2)

Sur le plan des gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère, le scénario lavable est bien plus favorable que le scénario jetable. L’industrie du bois, de la fabrication de la pâte à papier et les flux logistiques pèsent lourd dans la balance du jetable. A l’inverse, on voit facilement qu’une trentaine de cycles de lessive ne rejette pas beaucoup de CO2. Une simulation en Allemagne, en Chine ou aux Etat-Unis, où la production d’électricité se base encore beaucoup sur le charbon, montrerait une part plus forte dans l’utilisation du lavable.

Du coup, bien avant de réfléchir à la manière dont on pourrait encore mieux laver, le choix est déjà payant sur les deux indicateurs. On continue?

Allons plus loin

Nous ne tenons pas compte de trois aspects fondamentaux dans cette comparaison:

  • En ré-utilisant, on ne génère pas de déchets qui mettront des mois voire des années à se dégrader, et qui finiront pour un petit nombre d’entre eux dans l’océan (ou ailleurs si la fin de vie est mal maîtrisée). Un rapport de Greenpeace soulève de façon intéressante que l’impact sur la déforestation est aussi à prendre en compte. (en référence car ce n’est pas l’objet). Enfin, les additifs ajoutés par les fabricants pour blanchir le papier contiennent des produits qui ne respectent ni notre corps, ni mère nature.
  • Le potentiel d’amélioration avec du réutilisable est très important. On peut en effet:
    • ré-utiliser des tissus existants pour fabriquer mouchoirs ou tissus de cuisine. On peut utiliser des torchons à la place des essuie-tout
    • choisir une alternative plus respectueuse au coton traditionnel car ce dernier nécessite trop d’eau à cultiver
    • utiliser nos mouchoirs et tissus pendant 10 ans au lieu de 5
    • s’équiper de lave-linge et sèche-linge performants (A+++)
    • éviter d’utiliser un sèche-linge autant que possible
    • réduire notre nombre de cycles en ne faisant que des cycles pleine charge
    • laver moins chaud

A l’inverse, mon potentiel d’amélioration sur du jetable est inexistant. On peut:

    • moins se moucher… bon courage
    • on peut acheter des produits à base de papier recyclé. Cette solution ne présente objectivement pas d’amélioration environnementale tant le coût “écologique” de retraitement est important (l’étude Kimberly Clark citée en référence compare les cycles de vie de produits à base de fibres naturelles et des produits comportant des fibres recyclées)

De cette façon, si nous choisissons un tissu qui n’a réclamé que moins d’eau (eucalyptus, coton bio, chanvre, lin) ou tout simplement un vêtement en fin de vie, on obtient un impact sur la consommation d’eau bien différent. Le graphique ci-dessous est établi avec les données du lin, faute d’ACV sur d’autres matières :

Comparaison consommation en eau jetable vs lavable pour du lin (litres)
Comparaison consommation en eau – jetable vs lavable pour du lin (en litres)

Ainsi, la consommation ne se limite qu’à l’eau utilisée dans nos lessives, qui restera toujours bien inférieure à l’eau utilisée pour la fabrication de fibres en papier.

Lavage vs jetable : conclusion

Le lavable est sans l’ombre d’un doute plus écologique que les produits à usage unique. De notre côté, nous faisons le choix du réutilisable avec des produits respectueux de l’environnement. Nous adaptons aussi notre façon de les utiliser pour atteindre un impact environnemental proche de zéro, tout en préservant un bon confort d’utilisation. Enfin, nous montrons surtout à nos enfants et à notre entourage qu’on peut tourner la page d’un mode de consommation tout jetable et ça, ça n’a pas de prix pour la planète !

Sources:

* Les Analyses de cycle de vie sont normées selon l’ISO 14044 et s’attachent à vérifier un certain nombre de critères impactant l’environnement tels que le changement climatique, la destruction de l’ozone stratosphérique, l’acidification des sols ou des océans etc. Nous regardons ici deux critères: changement climatique en kg-eq CO2 (tous gaz à effet de serre sont ramenés à un équivalent CO2 en fonction de leur pouvoir d’effet de serre et à leur durée de vie dans l’atmosphère) et consommation en eau en litres, qui sont les deux critères relevés dans la phrase d’introduction.

  1. “Life Cycle Assessment of Tissue Products”, Jacob Madsen, ERM for Kimberly Clark, 2007
  2. “Assessing the Environmental Impacts of Disposable Facial Tissue Use versus Reusable Cotton Handkerchiefs”, Eileen B. Ekstrom, Ecosystem Analystics, 2012. Cette étude est ignorée car elle manque d’une revue extérieure. Elle n’est donc pas homologuée ISO 14000.
  3. “Wiping away the boreal”, Greenpeace, 2017. L’impact sur la déforestation tel qu’évoqué
  4. “Analyse de Cycle de Vie comparée d’une chemise en lin et d’une chemise en coton”, Bio Intelligence Service, 2007
  5. “Comparative Life Cycle Assessment study 3 cleaning products for kitchen surfaces”, AFISE, PROCTER & GAMBLE, 2004. Non utilisée.
  6. “A compilation of life cycle studies for six household detergent product categories in Europe: the basis for product-specific A.I.S.E. Charter Advanced Sustainability Profiles”. Les tables de données sont présentées dans le document Word associé pour les cycles de vie des produits de lessive.

Méthodes de calcul

(n’hésitez pas à réagir dans les commentaires si vous pensez avoir décelé une erreur)

  • Les données de fabrication, transport, fin de vie des mouchoirs en papier et essuie-touts papier sont prélevées dans l’analyse de cycle de vie de Kimberly Clark (“Life Cycle Assessment of Tissue Products”)
  • Les données comparatives de fabrication, transport, fin de vie des mouchoirs et tissus absorbants de cuisine entre le coton et le lin proviennent de l’analyse de cycle de vie d’une chemise en coton vs lin (“Analyse de Cycle de Vie comparée d’une chemise en lin et d’une chemise en coton”). Les chiffres sont ensuite abaissés en fonction du ratio de poids de tissu d’un mouchoir (10g) et d’un tissue absorbant (15g) par rapport à celui d’une chemise utilisé dans l’étude (240g de tissu).

Les données de lavage sont calculées avec les éléments suivants:

    • Lave linge de ce modèle (classe A+): 181kWh pour 220 cycles (norme des étiquettes). Consommation en eau par cycle: 60 litres
    • Sèche linge de ce modèle (classe C): 510kWh pour 160 cycles. On considère dans cette étude 3 cycles de sèche-linge pour 4 lessives (moyenne haute)
    • 74gCO2/kWh (mix énergétique français prélevé sur http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/chiffres-cles).
    • La consommation dédiée au lavage est le fruit d’un calcul sur le poids total des essuie-tout, lingettes et mouchoirs agrégée sur l’ensemble de la durée de l’étude et converti ensuite en nombre de cycles de 4kg (moyenne d’utilisation selon l’Ademe)
    • Les données des produits de lessive proviennent de l’analyse de l’AISE (“A compilation of life cycle studies for six household detergent product categories in Europe: the basis for product-specific A.I.S.E. Charter Advanced Sustainability Profiles”)

www.manamani.com

Article écrit par Timothée

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